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LE PROCESSUS COLLABORATIF, OU L’ABSENT RÉVÉLATEUR : RÉFLEXIONS SUR LA CONTRACTUALISATION INCOMPLÈTE DU PROCÈS CIVIL EN 2025.

LE PROCESSUS COLLABORATIF, OU L’ABSENT RÉVÉLATEUR : RÉFLEXIONS SUR LA CONTRACTUALISATION INCOMPLÈTE DU PROCÈS CIVIL EN 2025.

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Le processus collaboratif, ou l’absent révélateur : réflexions sur la contractualisation incomplète du procès civil en 2025. Par Françoise Balaguer, Avocat.

Parution : lundi 25 août 2025

Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/processus-collaboratif-absent-revelateur-reflexions-sur-contractualisation,54293.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Alors que la réforme du 18 juillet 2025 renforce la contractualisation du procès civil par la mise en état conventionnelle, un silence notable persiste : l’absence du processus collaboratif.
Outil structuré, exigeant, fondé sur une coopération transparente entre les parties et leurs avocats, ce dispositif né aux États-Unis dans les années 1990 sous l’impulsion de Stu Webb, n’a jamais trouvé d’ancrage normatif en France. À la croisée du droit, de l’éthique et de la stratégie procédurale, son exclusion interroge.
Cet article propose une lecture critique de cette absence, en analysant les ressorts politiques et juridiques d’un choix révélateur, à l’heure où la justice civile prétend s’ouvrir aux dynamiques de résolution amiable.

Alors que la réforme de juillet 2025 consacre la mise en état conventionnelle comme modalité centrale de la justice civile contractuelle, elle ignore totalement le processus collaboratif.
Né aux États-Unis à l’initiative de Stu Webb, cet outil exigeant de résolution des conflits, reposant sur un engagement de non-contentieux et une transparence intégrale, demeure absent du droit positif français. Cette contribution propose une lecture critique de cette exclusion, en interrogeant les fondements politiques et juridiques d’une telle omission.

Introduction.

L’un des paradoxes de la modernisation procédurale française réside dans sa capacité à promouvoir les modes amiables tout en excluant certains de ses instruments les plus exigeants. Le décret n°2025‑660 du 18 juillet 2025 et la circulaire d’application NOR JUSC2520914C ont introduit une contractualisation accrue du procès civil, fondée sur la liberté des parties et le rôle structurant de leurs conseils.

Toutefois, alors même que les MARD se déploient au cœur de la justice civile, le processus collaboratif – pourtant défendu par des praticiens et appuyé par la doctrine – reste juridiquement ignoré. Or ce silence normatif n’est pas anodin : il signale une tension structurelle entre l’ambition de pacifier les rapports sociaux par la négociation, et la volonté de l’État de conserver un contrôle strict sur les procédures légitimes.

Dès lors, il s’agira d’examiner d’abord ce qu’est le processus collaboratif et les raisons de sa normativité latente (I), avant d’analyser les implications profondes de son exclusion dans la réforme de 2025 (II).

I – Un outil négligé, mais normativement structuré : le processus collaboratif.

A. Genèse américaine et réception française.

Le processus collaboratif, ou ’collaborative law’, est né aux États-Unis au début des années 1990 sous l’impulsion de l’avocat Stu Webb. Déçu par les logiques adversariales du système judiciaire américain, il élabore une approche fondée sur la coopération entre les parties, accompagnées par leurs avocats spécialement formés, dans un cadre contractuellement délimité.
Cette innovation repose sur un engagement formel : les avocats s’interdisent toute représentation contentieuse si les négociations échouent. Cette clause de retrait, véritable pivot éthique et stratégique, garantit l’absence d’arrière-pensée judiciaire et crée une dynamique de confiance réciproque.

En France, le processus collaboratif fait son apparition à partir de 2007, via la création de l’Association française des praticiens du droit collaboratif (AFPDC), qui en assure la diffusion, la formation et le cadre déontologique. Pourtant, malgré l’appui de certains magistrats et universitaires, il demeure à la marge de l’édifice normatif, au profit de dispositifs plus institutionnalisés comme la médiation, la conciliation ou la procédure participative.

B. Un modèle de contractualisation exigeante, distinct des MARD classiques.

Le processus collaboratif constitue une forme aboutie de contractualisation du conflit. Il se distingue des autres MARD par sa structure juridique exigeante et son dispositif procédural rigoureux.
Quatre principes fondamentaux le structurent :

  • 1. L’engagement de non-recours au juge pendant toute la procédure ;
  • 2. Le retrait automatique des avocats en cas d’échec des négociations ;
  • 3. La transparence intégrale sur les documents utiles à la résolution du conflit ;
  • 4. Une recherche active d’accord fondée sur les besoins réels des parties et non sur leurs positions initiales.

Contrairement à la médiation (pilotée par un tiers neutre) ou à la procédure participative (adossée à l’instance), le processus collaboratif repose uniquement sur les parties et leurs conseils, dans un espace hors procès. Il traduit une justice horizontale, autonome, contractuelle, conforme aux évolutions de la société civile contemporaine. En cela, il répond à la double exigence de pacification et d’empowerment juridique des justiciables.

II – Une exclusion révélatrice des tensions de la politique procédurale française.

A. L’État entre contrôle procédural et défiance à l’égard de l’innovation.

La réforme de juillet 2025, bien qu’ambitieuse, révèle une forme d’ambivalence politique. Elle promeut la liberté contractuelle dans le procès civil – à travers la mise en état conventionnelle – tout en ignorant un des dispositifs les plus avancés de cette contractualisation : le processus collaboratif. Ce choix n’est pas anodin. Il traduit une méfiance structurelle de l’État français à l’égard des outils juridiques développés en dehors du périmètre institutionnel classique. Cette centralisation normative se manifeste par l’absence de reconnaissance réglementaire du processus collaboratif, malgré son encadrement rigoureux et sa pratique croissante dans les barreaux.

Contrairement à d’autres pays de tradition civiliste ou anglo-saxonne (États-Unis, Canada, Angleterre), où le processus collaboratif est valorisé, la France semble retenir une logique de validation institutionnelle par le législateur ou le juge, comme condition de légitimité. L’innovation procédurale y reste sous surveillance. Cette position révèle une tension entre la logique participative, promue en apparence, et une politique procédurale centralisatrice, où l’État conserve l’apanage de la normativité.

B. Un silence normatif juridiquement et symboliquement problématique.

Sur le plan juridique, l’omission du processus collaboratif dans le décret de 2025 soulève une contradiction. L’État affirme sa volonté de promouvoir des solutions alternatives au contentieux, tout en excluant un dispositif qui incarne précisément la résolution autonome, loyale et transparente des litiges. Ce silence crée un déséquilibre dans la hiérarchie des MARD, en reléguant un processus rigoureux au statut d’outil officieux, sans cadre juridique clair ni incitation normative.

Symboliquement, cette absence affaiblit la portée du décret. Elle suggère que seules les formes procédurales contrôlées par l’État bénéficient d’une reconnaissance officielle, alors même que le droit collaboratif pourrait constituer une alternative sérieuse aux conflits familiaux, économiques ou professionnels. En marginalisant le processus collaboratif, le législateur empêche la pleine réalisation d’un idéal de justice pacifiée, négociée et intelligemment partagée entre professionnels du droit.

Conclusion.

Le processus collaboratif, bien que porté par une doctrine exigeante et pratiqué par un nombre croissant d’avocats formés, demeure aujourd’hui ignoré par le droit positif français. Ce silence, réitéré dans le décret du 18 juillet 2025, révèle une forme de conservatisme normatif qui freine l’évolution de la justice civile vers une véritable autonomie des acteurs. Alors même que les discours institutionnels prônent la contractualisation de la procédure et la pacification des litiges, l’absence de reconnaissance du processus collaboratif mine la cohérence de l’édifice réformateur.

Il est temps que les autorités normatives intègrent cet outil dans le paysage juridique français, non seulement pour garantir la diversité des modalités de résolution, mais aussi pour honorer la promesse d’une justice moderne, efficace et plus humaine. La contractualisation de la mise en état gagnerait à inclure cette forme avancée de coopération procédurale, en phase avec les valeurs de transparence, d’éthique et de responsabilité partagée qui fondent une nouvelle culture judiciaire.

Notes :

Bibliographie :

  • AFPDC, Guide du droit collaboratif, 3e éd., 2022.
  • Bastard B., « Les justices négociées », PUF, 2021.
  • Carbonnier J., « Flexible droit », LGDJ, 2001.
  • Council of Europe, CEPEJ Guidelines on MARD, 2023.
  • Desportes F., « Procédure civile contemporaine », Dalloz, 2024.
  • Garapon A., « Bien juger, essai sur le rituel judiciaire », Odile Jacob, 2020.
  • Lepage A., « La procédure participative », LexisNexis, 2023.
  • Webb S., « The Collaborative Way to Divorce », San Francisco Press, 2002.

Françoise Balaguer, Avocat au Barreau des Pyrénées Orientales.

L'auteur déclare ne pas avoir utilisé l'IA générative pour la rédaction de cet article.

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion, plus d'infos dans nos mentions légales ( https://www.village-justice.com/articles/Mentions-legales,16300.html#droits ).

Publié le 24/11/2025

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