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VERS UN AVOCAT STRATÈGE DE LA RELATION : L’ÉVOLUTION DU RÔLE DE L’AVOCAT DANS L’INSTRUCTION CONVENTIONNELLE ISSUE DU DÉCRET DU 18 JUILLET 2025.

VERS UN AVOCAT STRATÈGE DE LA RELATION : L’ÉVOLUTION DU RÔLE DE L’AVOCAT DANS L’INSTRUCTION CONVENTIONNELLE ISSUE DU DÉCRET DU 18 JUILLET 2025.

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Vers un avocat stratège de la relation : l’évolution du rôle de l’avocat dans l’instruction conventionnelle issue du décret du 18 juillet 2025. 

Parution : lundi 1er septembre 2025

Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/vers-avocat-stratege-relation-role-avocat-dans-instruction-conventionnelle,54331.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Le décret n° 2025-660 du 18 juillet 2025 transforme profondément la procédure civile française en érigeant l’instruction conventionnelle et les modes amiables de règlement des différends (MARD) en pivot du procès. Cette réforme ne se limite pas à un ajustement technique : elle redéfinit la fonction même de l’avocat, désormais appelé à incarner une nouvelle figure professionnelle — celle de l’architecte de la relation juridique et du facilitateur procédural.
Cet article explore les qualités devenues incontournables dans ce contexte : la communication interpersonnelle, l’écoute active (au sens de Carl Rogers), et la négociation raisonnée (selon la méthode de Fisher et Ury). Loin d’être de simples « soft skills », ces compétences s’inscrivent au cœur d’un nouvel ethos professionnel, exigeant autant de rigueur juridique que de finesse relationnelle.

 

Au sommaire de cet article...

 

Introduction : une mue silencieuse, mais radicale de la figure de l’avocat.

L’approche rogerienne, fondée sur l’authenticité, la considération inconditionnelle et l’écoute empathique, redéfinit les contours de la parole professionnelle. La négociation raisonnée, quant à elle, structure l’action de l’avocat autour des intérêts et non des positions, dans une logique d’accord durable. Ces paradigmes exigent une refonte pédagogique et déontologique de la profession : formation à l’intelligence relationnelle, intégration de nouveaux outils dans la pratique quotidienne, et reconnaissance institutionnelle de ces nouveaux rôles.
Ainsi, l’avocat du XXIe siècle ne peut plus être réduit à un technicien du contentieux : il devient un acteur de la paix judiciaire, au service d’une justice plus horizontale, contractuelle et coopérative.

Le décret n°2025-660 du 18 juillet 2025, publié au Journal officiel le 19 juillet 2025, marque un tournant profond dans l’architecture du procès civil français. En consacrant l’instruction conventionnelle comme principe (art. 1546-1 et suivants du Code de procédure civile) et en refondant les modalités de recours aux modes amiables de règlement des différends (MARD), il ne se contente pas de remodeler le cadre procédural  : il appelle à une transformation de la posture professionnelle de l’avocat lui-même.

À l’ère du procès coopératif, l’avocat cesse d’être l’unique stratège du contentieux pour devenir un ingénieur de la relation juridique : un professionnel de la parole régulée, du dialogue structuré, du compromis juridiquement viable. Le droit ne s’épuise plus dans la confrontation : il s’ancre dans la résolution négociée, dans la relation de confiance, dans la construction collaborative de la solution.

Dès lors, trois qualités deviennent cardinales dans l’exercice du métier : la communication interpersonnelle efficace, l’écoute active comme compétence professionnelle, la négociation raisonnée, fondée sur les intérêts et non les positions.

Ces qualités, longtemps considérées comme accessoires ou empiriques, relèvent désormais d’un impératif normatif, technique et éthique. Le présent article se propose d’en analyser les fondements à la lumière des grandes théories de la relation (Carl Rogers, Fisher & Ury), des textes applicables, et de la doctrine juridique récente.

I. Une communication interpersonnelle repensée : de l’argument au dialogue.

A. Une communication désacralisée, recentrée sur la fonction de régulation.

La fonction historique de l’avocat dans le procès français repose sur un modèle adversatif, hérité du XIXe siècle, où la parole est instrument de combat. Dans le procès coopératif instauré par le décret de 2025, cette parole devient outil de convergence.

Selon l’article 1546-1 CPC, le juge ne peut ouvrir l’instruction judiciaire qu’en l’absence d’accord procédural entre les parties. Cette disposition confère aux avocats une responsabilité nouvelle dans l’élaboration du déroulé procédural du litige, et donc dans la coordination narrative du conflit.

Le Règlement Intérieur National du CNB (art. 1.3.3) valorise cette fonction en affirmant que l’avocat « concourt à la bonne administration de la justice par son concours à l’organisation amiable du procès ».

B. La parole congruente : Carl Rogers et la triade de la communication efficace.

Carl Rogers, père de l’Approche centrée sur la personne, identifie trois conditions fondamentales à la relation professionnelle authentique : la congruence (ou authenticité), la considération positive inconditionnelle, l’écoute empathique (Client-Centered Therapy, 1951).

L’avocat qui adopte une posture communicationnelle rogerienne ne se contente pas de « dire » : il crée un espace relationnel de sécurité, où le client peut poser des attentes, des doutes, des peurs – y compris hors du champ juridique. Dans un cadre amiable, cela signifie : savoir reformuler pour clarifier, neutraliser les tensions, déjouer les biais de perception entre les parties.

Ce n’est pas un luxe : c’est une compétence stratégique, qui conditionne l’efficacité des MARD. La parole de l’avocat devient un instrument de canalisation du conflit, plus qu’un vecteur de l’escalade.

II. L’écoute active : posture centrale dans l’architecture amiable du procès.

A. Définition et enjeux processuels.

L’écoute active, conceptualisée par Carl Rogers, est un acte d’engagement professionnel qui dépasse la simple réceptivité passive. Elle implique une reformulation, une attention empathique, et la suspension du jugement. Cette posture permet d’identifier les intérêts latents du client, de désamorcer les tensions et de co-construire des stratégies procédurales alignées avec la réalité du conflit.

B. L’écoute active au service de l’analyse des besoins.

Dans les procédures amiables, l’écoute active permet de faire émerger les besoins sous-jacents des parties, souvent masqués par les positions initiales. Jean-Pierre Bonafé-Schmitt et Jacques Faget ont montré que cette compétence constitue le pivot de tout processus de médiation efficace. L’avocat, en adoptant cette posture, devient alors un véritable traducteur émotionnel et stratégique du litige.

III. La négociation raisonnée : vers un avocat stratège du compromis.

A. L’approche de Fisher & Ury.

Le modèle de la négociation raisonnée, élaboré au sein du Harvard Negotiation Project, repose sur quatre principes fondamentaux : distinguer les personnes des problèmes, se concentrer sur les intérêts plutôt que sur les positions, générer des options mutuellement bénéfiques, et s’appuyer sur des critères objectifs. Ces principes transforment l’avocat en un stratège de la solution plus qu’en un défenseur de l’opposition.

B. Implications pratiques et culturelles.

Ce modèle appelle à une culture judiciaire renouvelée, plus horizontale et collaborative. L’avocat doit anticiper, structurer et sécuriser l’accord. Loïc Cadiet évoque une ’jurisprudence des intérêts’, où la solution n’est plus uniquement juridique mais aussi humaine, sociale et durable.

Conclusion : vers une refondation culturelle de la profession.

La réforme issue du décret du 18 juillet 2025 ouvre un cycle de transformation. Le procès devient un espace de co-construction, et l’avocat, un professionnel de la relation. La communication authentique, l’écoute active et la négociation raisonnée deviennent des piliers méthodologiques. Reste à former, reconnaître et valoriser ces compétences dans les formations initiales et continues, pour éviter que la réforme ne reste lettre morte.

Bibliographie :

Carl Rogers, *Le développement de la personne*, Dunod, 1961.

Roger Fisher & William Ury, *Getting to Yes*, Penguin Books, 1981.

Loïc Cadiet, *La justice en mutation*, LGDJ, 2011.

Jean-Pierre Bonafé-Schmitt, *Sociologie de la médiation*, PUF, 1998.

Jacques Faget, *La médiation*, PUF, 2006.

Conseil national des barreaux, Circulaire explicative du décret n° 2025-660, juillet 2025.

Code de procédure civile, art. 1546-1 et suivants (version post-décret 2025).

Règlement Intérieur National (RIN), art. 1.3.3.

Barreau de Paris, www.avocatparis.org (consulté en août 2025).

Françoise Balaguer, Avocat au Barreau des Pyrénées Orientales.

L'auteur déclare ne pas avoir utilisé l'IA générative pour la rédaction de cet article.

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Publié le 24/11/2025

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