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HISTOIRE, ENJEUX ET PERSPECTIVES DES MODES AMIABLES DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS (MARD) EN FRANCE

HISTOIRE, ENJEUX ET PERSPECTIVES DES MODES AMIABLES DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS (MARD) EN FRANCE

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Histoire, enjeux et perspectives des Modes Amiables de Règlement des Différends (MARD) en France. Par Françoise Balaguer, Avocat.

Parution : vendredi 5 septembre 2025

Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/histoire-enjeux-perspectives-des-modes-amiables-reglement-des-differends-mard,54291.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Longtemps marginalisés, les modes amiables de règlement des différends (MARD) occupent aujourd’hui une place centrale dans la justice civile française. Loin d’être une invention contemporaine, ces dispositifs trouvent leurs racines dans les pratiques antiques, les sources religieuses et les institutions royales. Leur histoire témoigne d’un balancier constant entre la justice déléguée et la justice négociée.

Depuis les années 1970, un mouvement législatif progressif les a réintroduits dans la procédure civile, jusqu’à leur consécration récente avec le décret n°2025‑660 du 18 juillet 2025 et la circulaire JUSC2520914C. Ces textes parachèvent la logique de contractualisation du procès, en consacrant une mise en état conventionnelle, partagée entre les parties et le juge. Cet article retrace l’évolution historique des MARD en France, analyse leur ancrage normatif actuel et interroge les enjeux juridiques, éthiques et pratiques d’une justice de plus en plus co-construite.

Introduction.

Les alternatives à la saisine du juge, regroupées sous l’acronyme MARD, connaissent aujourd’hui un essor sans précédent. Elles permettent d’assurer une justice plus rapide, plus consensuelle, et moins coûteuse. Mais loin d’être une invention moderne, elles s’inscrivent dans une longue tradition historique. De la Bible à la procédure participative, de la Rome antique à la réforme de 2025, cet article propose une analyse diachronique des MARD en France.

1. Des racines religieuses et antiques aux premières formes de médiation.

La médiation et l’arbitrage apparaissent dans la Bible, notamment dans l’Évangile selon Saint Matthieu (chap. 18) et dans la première lettre de Saint Paul aux Corinthiens. Dans ces textes, la résolution fraternelle des conflits est privilégiée sur le contentieux public.

Dans l’Antiquité, la Mésopotamie, Rome et la Grèce ont recours à des dispositifs de justice privée ou philosophique : l’oracle de Delphes, la loi des XII Tables (451 av. J.-C.), le Digeste de Justinien (534) et la lex Aebutia (126 av. J.-C.) organisent la procédure et légitiment l’arbitrage. Plutarque, Épictète et d’autres philosophes mettent en avant l’accord et la sagesse.

2. Du Moyen Âge aux Lumières : accords privés sous contrôle royal.

Au Moyen Âge, le pouvoir judiciaire se fragmente. Les seigneurs locaux détiennent le droit de rendre justice, affaiblissant le rôle de la monarchie. Toutefois, dès le XIIe siècle, les rois capétiens réaffirment leur autorité en matière de justice. Les règnes de Philippe Auguste, Saint Louis ou encore Philippe le Bel consacrent une juridiction royale croissante.

Le mot « procès » apparaît en 1174 dans le sens de « titre juridique ». La première ordonnance royale sur l’arbitrage date de décembre 1363. Au XVIe siècle, le roi François II impose des solutions extrajudiciaires par l’édit de Fontainebleau (1560), suivi en 1561 par un texte de Charles IX encourageant « accord et transaction » tout en sécurisant les actes conclus.

En 1610, Henri IV ordonne la désignation d’arbitres charitables pour les plus démunis. En 1666, Alexandre de La Roche publie un traité pionnier sur la médiation : « Pour éviter les procès et les querelles ou du moins pour en terminer sans peine et sans frais ».

3. La Révolution française : la justice comme concorde avant le conflit.

Le 7 juillet 1790, Louis Prugnon affirme à la tribune de l’Assemblée nationale : « Empêcher les procès, c’est la première dette de la société ». Cette philosophie influence les lois des 16-24 août 1790, qui distinguent le juge, l’arbitre et le juge de paix.

Sous l’impulsion de Guillaume Thouret, les révolutionnaires cherchent à rendre le citoyen maître du conflit, inspirés par le Contrat social de Rousseau. Toutefois, une méfiance s’installe envers l’arbitrage, de plus en plus encadré par des règles restrictives, le rendant quasi-public.

L’arrivée de Bonaparte marque un retour à l’ordre. Le Code civil (1804) et le Code de procédure civile (1806) réaffirment l’autorité judiciaire, tout en maintenant l’exigence d’une conciliation préalable devant le juge de paix [1].

4. Du XIXe siècle à l’après-guerre : le reflux des MARD et leur lente renaissance.

Après l’effervescence révolutionnaire, le XIXe siècle marque un recul de la justice amiable au profit d’une justice étatique centralisée. La loi du 25 mai 1838 prévoit la conciliation comme facultative, tandis que la loi du 2 mai 1855 rend obligatoire la « petite conciliation ».

En 1949, la suppression de la tentative obligatoire de conciliation illustre le désintérêt croissant pour les MARD. La réforme judiciaire de 1958, portée par Michel Debré, réorganise profondément les juridictions. Les justices de paix sont supprimées, remplacées par les tribunaux d’instance, dans une logique d’efficacité et de professionnalisation.

5. De 1975 à 2020 : la résurgence institutionnelle des MARD.

Le nouveau Code de procédure civile de 1975 réintroduit la mission de conciliation dans l’office du juge (article 21). Sous l’impulsion du ministre Olivier Guichard, des conciliateurs sont nommés dès 1978 (décret n°78-381). Le décret n°93-254 et la jurisprudence de 1993 légitiment les conciliateurs et la médiation.

La loi Méhaignerie du 8 février 1995 institue la médiation judiciaire. En 1999, le Conseil de l’Europe recommande le développement des MARD. Le Livre vert de 2002 de la Commission européenne ouvre la voie à une harmonisation européenne.

La directive de 2008 est transposée en 2011, donnant naissance au Livre V du Code de procédure civile. Le décret de 2012 consacre la procédure participative. La loi n°2016-1547 modernise la justice et renforce les MARD dans une logique citoyenne. [2].

6. De 2019 à 2025 : vers une contractualisation complète du procès civil.

La loi du 23 mars 2019 et son décret d’application du 11 décembre 2019 (n°2019-1333) imposent, à peine d’irrecevabilité, une tentative de MARD pour certains litiges, notamment les demandes inférieures à 5 000 euros ou les conflits de voisinage.

Le décret n°2021-1322 du 11 octobre 2021 précise que lorsqu’un MARD est requis, une tentative judiciaire de conciliation n’est plus possible, clarifiant l’articulation entre les mécanismes amiables et juridictionnels.

Le tournant décisif intervient en 2025 avec le décret n°2025-660 du 18 juillet et la circulaire JUSC2520914C du 19 juillet. Ce nouveau cadre marque la consécration de la mise en état conventionnelle : les parties, assistées de leurs avocats, peuvent convenir d’un calendrier de procédure, d’étapes d’instruction, et soumettre cette convention au juge pour homologation.

La circulaire insiste sur la formation à la culture du dialogue, l’encadrement strict des conventions procédurales, et la nécessaire pédagogie auprès des justiciables. Le juge devient garant de l’équité du processus, tout en laissant une large autonomie aux parties [3].

7. Analyse critique : vers une justice co-construite, mais exigeante.

Ces réformes traduisent un changement paradigmatique : la justice ne se rend plus uniquement au tribunal, mais aussi par la volonté conjointe des parties et de leurs conseils. Ce mouvement vers la contractualisation suppose une grande rigueur professionnelle et une formation renforcée.

Pour les justiciables, cette évolution peut être bénéfique : elle permet de reprendre la main sur le déroulé du procès, de réduire les coûts et de pacifier les conflits. Mais elle implique aussi un risque d’inégalité, notamment pour les personnes mal informées ou sans représentation juridique de qualité. Le rôle de l’avocat devient alors central : négociateur, stratège, et garant des équilibres procéduraux.

Le juge quant à lui voit son rôle se transformer en arbitre de l’équité, superviseur du bon déroulement des accords. Une telle évolution appelle à repenser la formation des magistrats, leur posture, et la répartition des pouvoirs dans la procédure civile.

Conclusion.

L’histoire des MARD en France révèle un mouvement de balancier permanent entre justice privée et autorité de l’État. Les réformes récentes, et notamment celles de 2025, parachèvent un retour vers une justice partagée, contractualisée et tournée vers l’avenir.

Les MARD ne sont plus des dispositifs parallèles, mais des piliers de la justice moderne. Reste à garantir leur accessibilité à tous, leur effectivité, et leur équité.

Cette nouvelle ère exige des professionnels du droit un engagement fort dans l’accompagnement des citoyens vers une justice de confiance, pragmatique et humaine.

Bibliographie.

  • Louis Prugnon, Discours à l’Assemblée Nationale, 7 juillet 1790.
  • Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, 1762.
  • Commission européenne, Livre vert sur les modes alternatifs de règlement des conflits, COM(2002) 196 final.
  • Décret n°78-381 du 20 mars 1978 relatif aux conciliateurs de justice.
  • Décret n°2012-66 du 20 janvier 2012 relatif à la résolution amiable des différends.
  • Décret n°2025‑660 du 18 juillet 2025 relatif à l’instruction conventionnelle.
  • Circulaire NOR JUSC2520914C du 19 juillet 2025 d’application du décret n°2025‑660.
  • Loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.
  • Delmas-Goyon, P., L’office du juge au XXIe siècle, Rapport au Garde des Sceaux, décembre 2013.
  • Guinchard, S., L’ambition raisonnée d’une justice apaisée, Rapport au ministre de la Justice, 2008.

Françoise Balaguer Avocat au Barreau des Pyrénées Orientales

[1] Louis Prugnon, Discours à l’Assemblée Nationale, 7 juillet 1790.

[2] Commission européenne, Livre vert sur les modes alternatifs de règlement des conflits, COM(2002) 196 final.

[3] Décret n°2025‑660 du 18 juillet 2025, JORF n°0166 du 20 juillet 2025, texte n° 7.

L'auteur déclare ne pas avoir utilisé l'IA générative pour la rédaction de cet article.

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Publié le 24/11/2025

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